Takeshi Kitano : nostalgie, autodestruction… Les obsessions du légendaire cinéaste japonais

Sa nostalgie mélancolique, son caractère autodestructeur… pleins feux sur la carrière du célèbre réalisateur japonais Takeshi Kitano.

1. Violent Cop (1989)
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Un policier violent est aux prises à la fois avec sa hiérarchie et un gang dirigé par le truand Kiyohiro. Kitano réalise ce premier film où il devait seulement tenir le premier rôle, par hasard. A la suite de la défection du metteur en scene, il accepte de mettre en scène “Violent Cop” en remaniant considérablement le scénario. D’une histoire policière classique, il ne garde que la trame et concentre son attention sur le personnage principal qu’il incarne: un antihéros solitaire et à contre-courant.
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© D.R.

Cinéaste (auto)destructeur

“Je déteste mes films. Tous, sans exception. Aucun de mes films ne trouve grâce à mes yeux. Pas un !” Cette confession dans l’ouvrage Kitano par Kitano (2010, éditions Grasset) résume à elle seule le rapport que Kitano entretient avec sa propre œuvre. Artiste complet (il est acteur, réalisateur, scénariste et producteur de ses films, et mène parallèlement des carrières d’écrivain, de peintre et d’animateur de télévision), il est considéré en Europe comme un cinéaste majeur alors qu’au Japon il a davantage l’image d’un amuseur potache.

Le succès en tant que metteur en scène, Takeshi Kitano l’a toujours recherché pour mieux le fuir. D’ailleurs, la renommée lui vient par hasard, puisqu’il réalise son premier film Violent Cop suite au désistement de Kinji Fukasaku ; connu des japonais pour ses pitreries télévisées, Kitano s’était au préalable révélé au cinéma dans Furyo de Nagisa Oshima face à David Bowie. Propulsé malgré lui cinéaste, il va pourtant réussir à transcender ce simple polar – dont il va entièrement réécrire le scénario – et obtenir dès ce premier film les louanges de la critique internationale.

Ce succès soudain, Kitano ne le vit pourtant pas bien et alors que les films s’enchaînent, la pression se fait de plus en plus étouffante. En août 1994, il est victime d’un grave accident de moto qui le défigure et le paralyse partiellement. Il reconnaîtra par la suite qu’il s’agissait peut-être d’une tentative de suicide “inconsciente”.

S’il s’agit là de l’expression la plus brutale de son tempérament autodestructeur, cet aspect de sa personnalité se ressent tout autant dans son travail de cinéaste. Lion d’or à Venise pour son polar Hana-Bi en 1997, Kitano connaît son plus gros succès commercial avec Zatoichi en 2003. Pourtant, le cinéaste ressort insatisfait de l’expérience, et c’est pourquoi il va dans les années qui suivent ce triomphe tout mettre en œuvre pour défaire son aura.

“Je me suis développé en démolissant mes éminents prédécesseurs, dans le domaine de la comédie télé en particulier. Maintenant je me retrouve au top et je dois me démolir moi-même : je n’ai personne d’autre à démonter ! Cela se reflète aussi dans mon cinéma. J’ai voulu briser ce qui en moi faisait autorité. Quand je reçois des prix, je prends peur et je dois détruire ce que je représente” a-t-il déclaré à nos confrères des Inrocks en 2010, après avoir achevé sa trilogie introspective et autobiographique dont chaque épisode (Takeshis’, Glory to the filmmaker! et Achille et la tortue) s’intéressait à un aspect de la personnalité de l’homme mais aussi de l’artiste Kitano.

Par nécessité plutôt que par envie, Kitano est revenu en 2010 au yakuza-eiga avec la trilogie Outrage, des polars où l’ultra-violence remplace désormais les récits moraux et chevaleresques de ses précédents films. Encore une fois, l’autodestruction est la thématique principale de l’oeuvre; au sein du récit, ce sont les mises à mort sanglantes auxquelles se livrent les protagonistes qui la symbolisent tandis qu’à l’extérieur, elle est représentée par la démarche même du cinéaste, puisqu’en cédant aux pressions commerciales, Kitano troque son statut d’artiste indépendant pour celui moins reluisant de cinéaste de commandes.

Un cinéaste tourné vers le passé

Cinéaste acclamé par la critique et adoubé par ses pairs, Takeshi Kitano n’a pourtant jamais été un artiste en phase avec son époque. On pourrait même le soupçonner de ne pas aimer le monde dans lequel il vit, tant ses films – ou plutôt ses personnages – sont empreints d’un sentiment de mélancolie nostalgique.

Il faut dire que l’œuvre de Takeshi Kitano n’a cessé de se démarquer des clichés que se fait une partie du public occidental du cinéma japonais. Celui qui n’a jamais caché son mépris pour la culture manga et les films animés (en particulier ceux de Hayao Miyazaki) s’est même amusé à moquer ouvertement son époque en s’attelant à des projets fous tels que Takeshi’s Castle (une émission de télévision dotn les différentes épreuves sont tant d’humiliations à subir pour les participants) ou Le défi de Takeshi (1985), un jeu vidéo impossible à terminer car basé sur des décisions totalement incohérentes. L’écran-titre du jeu annonçait pourtant la couleur : “Ce jeu a été réalisé par quelqu’un qui déteste les jeux vidéo.”

Kitano s’est toujours défendu de signer des films autobiographiques, et pourtant il est indéniable que sa propre existence a inspiré plusieurs de ses longs métrages. Ses jeunes années de boxeur amateur sont par exemple retracées dans le film Kids Return, tandis qu’il joue son propre rôle – ou tout du moins une caricature de lui-même – dans les comédies expérimentales Takeshis’ et Glory to the filmmaker!.

Dans L’Eté de Kikujiro, un jeune garçon élevé par sa grand-mère décide de prendre la route pour retrouver sa mère ; il est accompagné dans ses aventures par Kikujiro, un ancien yakuza simple d’esprit. Lors de la promotion de cet autre film, Kitano avait assuré qu’il n’y avait aucun élément personnel dans cette histoire, mais difficile d’y voir autre chose qu’une mise en abyme quand on remarque que le père de substitution du jeune Masao porte le même nom que le propre géniteur du cinéaste.

Les yakuzas occupent une place de choix dans la filmographie de Kitano, et font eux aussi écho à la vie personnelle du cinéaste. Ce dernier a plusieurs fois évoqué ses soupçons que son père, un peintre en bâtiment, ait lui aussi appartenu à la mafia japonaise, d’où peut-être cette scène de fascination du jeune Masao face au tatouage dorsal de Kikujiro (voir ci-dessus).

Les liens entre Kitano et les yakuzas n’ont jamais été clairement établis, mais il est assez clair que leurs chemins se sont croisés à plusieurs reprises. Le portrait qu’il fait de la pègre nippone dans ses films est tout autant ambigu, puisque ses membres sont aussi bien montrés comme des brutes épaisses – voire écervelées – que comme des êtres de valeur répondant à un code d’honneur chevaleresque. Une vision qui rappelle fortement celle des films Kinji Fukasaku, une influence majeure de Kitano.

Gosse de peintre

On connaît l’acteur et le réalisateur, mais on connaît moins le peintre Takeshi Kitano. Son œuvre, célébrée dans le monde entier, a pourtant fait l’objet de plusieurs rétrospectives majeures, dans des lieux de prestige tels que le centre Pompidou ou la Fondation Cartier à Paris.

Dans ses toiles, parfaitement complémentaires à ses films, Kitano peint à coups de couleurs criardes des œuvres poétiques et autobiographiques. Plus qu’une simple passion, la peinture est pour lui un refuge, voire une thérapie, car c’est après son terrible accident de moto en 1994 qu’il s’est remis à dessiner. Cette vocation est pourtant ancrée en lui depuis bien longtemps, puisqu’il faut remonter à son enfance pour en trouver les origines. Son père, un alcoolique abusif avec qui il n’a jamais su établir de liens, était en effet un modeste peintre de bâtiment.

Pas besoin d’un diplôme en psychologie pour comprendre comment après avoir échappé à la mort, Kitano s’est plongé dans la peinture pour se reconstruire (physiquement mais également psychologiquement), mais aussi pourquoi la plupart de ses personnages sont des laissés pour compte sans attache, qui trouvent dans l’amitié des liens d’affection qu’ils n’ont jamais connus dans leurs foyers respectifs. Ce qui explique peut-être aussi la fascination qu’éprouve Takeshi Kitano pour les familles mafieuses yakuzas, sortes de familles de substition à ses yeux.

Les toiles de Kitano se sont plusieurs fois invitées dans ses films. C’est notamment le cas dans Hana-Bi où la portée autobiographique de certaines scènes saute aux yeux, alors qu’un des personnages, cloué dans un fauteuil roulant après s’être fait tirer dessus, s’initie à la peinture pour chasser la dépression mais aussi la solitude. Ses toiles, signées Kitano en personne, parsèment ainsi l’intégralité du film.

C’est également le cas dans L’Eté de Kikujiro, une fable autobiographique sur l’absence du père, dans lequel Kitano joue le rôle d’un ancien yakuza aussi bête qu’attachant, qui incarne une figure paternelle inattendue pour le jeune Masao au fur et à mesure que les deux personnages s’attachent l’un à l’autre.

Enfin dans Battle Royale de Kinji Fukasaku, Kitano campe non sans ambiguité un professeur de lycée qui porte son nom, chargé de surveiller le combat à mort sans pitié que doivent se mener ses élèves. Tout au du film, le personnage dessine une fresque dérangeante au centre duquel ressort l’innocence angélique d’une jeune fille, seule lueur optimiste d’un monde désabusé. Est-ce l’art qui donne de l’espoir aux hommes, ou bien est-ce l’artiste ?

Takeshi Kitano reçoit les insignes d’Officier de la Légion d’honneur

Takeshi Kitano reçoit les insignes d'Officier de la Légion d'honneur

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